Les aides-soignants ne peuvent pas être indépendants : le rappel ferme du Conseil d’État

Dans une décision du 11 février, le Conseil d’État a clairement statué : les aides-soignants ne peuvent pas exercer en tant qu’indépendants dans les établissements de santé et médico-sociaux. Ils doivent être placés sous la conduite d’un infirmier et sont ainsi considérés comme relevant de l’autorité hiérarchique de l’établissement qui les emploie. Cette décision met un terme aux pratiques de certaines plateformes en ligne qui proposaient aux établissements des aides-soignants autoentrepreneurs, en dehors du cadre légal.

Un cadre réglementaire strict pour les aides-soignants

Le Conseil d’État s’appuie sur plusieurs textes réglementaires, notamment l’article R4311-4 du Code de la santé publique, qui stipule que les aides-soignants ne peuvent exercer leur activité qu’en étant supervisés par un infirmier dans les établissements sanitaires, sociaux ou médico-sociaux. En parallèle, il rappelle que selon l’article L8221-6 du Code du travail, un contrat de travail peut être établi dès lors qu’un travailleur exécute une tâche sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres, de contrôler leur exécution et de sanctionner les manquements. Ainsi, même si un aide-soignant est recruté sous le statut d’indépendant, la réalité de son travail dans un établissement implique un lien de subordination, ce qui caractérise un emploi salarié.

Un avertissement déjà lancé en 2021

Cette décision vient renforcer une mise en garde formulée dès décembre 2021 par les ministères du Travail et de la Santé. À l’époque, Élisabeth Borne et Olivier Véran avaient adressé un courrier aux directeurs des Agences Régionales de Santé (ARS), les alertant sur le risque juridique lié à l’emploi d’aides-soignants sous un statut d’indépendant. Ils rappelaient que certaines professions réglementées, comme les aides-soignants, les infirmiers de bloc opératoire ou encore les auxiliaires de puériculture, ne pouvaient pas être exercées en tant que travailleurs indépendants au sein des établissements de santé et médico-sociaux. Ce type d’emploi pouvait même être qualifié de travail dissimulé, exposant ainsi les établissements à des sanctions.

Des plateformes impactées par la décision

Des contrôles menés par l’Urssaf et la Dreets ont déjà conduit certains établissements à suspendre leur collaboration avec des plateformes qui proposait ce type de mise en relation. L’une de ces entreprises, dont 80 % des clients sont des Ehpad et des maisons d’accueil spécialisées, avait saisi le Conseil d’État en janvier 2024 pour contester cette interdiction, invoquant une baisse de 40 % de son chiffre d’affaires en raison de ces restrictions. Toutefois, le juge des référés a rejeté leur requête, estimant qu’il n’y avait pas d’urgence au sens du Code de la justice administrative. Le jugement sur le fond a confirmé cette position un an plus tard .

Une menace pour les infirmiers libéraux en soins à domicile

Si cette décision vise en premier lieu les établissements de santé et médico-sociaux, elle a aussi des implications pour les soins à domicile et l’exercice libéral. En ville, l’émergence de plateformes proposant des aides-soignants indépendants aurait pu créer une concurrence directe avec les infirmiers libéraux, en particulier dans le cadre de contrats avec des structures d’Hospitalisation à Domicile (HAD). En effet, certaines plateformes auraient pu chercher à contractualiser avec les HAD pour fournir des aides-soignants autoentrepreneurs à domicile, contournant ainsi le cadre réglementaire qui impose l’intervention des infirmiers pour encadrer et superviser ces professionnels.

Or, dans la pratique libérale, l’infirmier est au cœur du parcours de soins à domicile : il évalue les besoins du patient, dispense des soins techniques et peut déléguer certaines tâches aux aides-soignants sous sa responsabilité. L’arrivée d’aides-soignants en autoentreprise aurait pu court-circuiter ce modèle en permettant à des structures de soins de s’appuyer directement sur ces professionnels, au risque de fragiliser le rôle des infirmiers libéraux et de compromettre la qualité des soins. La décision du Conseil d’État vient donc sécuriser le cadre d’exercice et empêcher une forme d’« ubérisation » qui aurait pu mettre à mal l’organisation actuelle des soins à domicile .

Une barrière contre l’« ubérisation » du secteur

Avec cette décision, le Conseil d’État met un frein définitif à la volonté de certaines plateformes de flexibiliser le travail des aides-soignants en les faisant passer sous un statut indépendant. Ce rappel ferme vise à protéger la profession et à garantir la sécurité des soins en assurant que ces professionnels travaillent toujours sous la responsabilité d’un infirmier. Pour les établissements de santé et médico-sociaux, ce jugement signifie qu’ils doivent veiller à ne pas employer d’aides-soignants sous un statut inadapté, sous peine d’être accusés de travail dissimulé. Cette clarification vient ainsi réaffirmer la spécificité et l’encadrement strict des métiers du soin, à l’heure où la tentation de l’« ubérisation » gagne du terrain dans le domaine de la santé.

Pour en savoir plus :
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2025-02-11/491128

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