Une semaine infirmière de médecine de la personne

Le 17 novembre à Bordeaux s’est tenue la troisième journée annuelle de l’observatoire francophone de la médecine à la personne.

La médecine de la personne est une école de pensée pour les soignants qui s’oppose classiquement à la médecine personnalisée, celle qui va chercher uniquement dans la technique une réponse déshumanisée et standardisée au problème du patient. La médecine de la personne cherche donc au contraire, à remettre d’abord la personne soignée et son parcours au cœur de la démarche soignante. D’ailleurs, en introduction, Simon Daniel Kipman président de l’observatoire, rappelle que « la médecine de la personne est bien sûr venue de la psychiatrie mais qu’il ne s’agit pas de saupoudrer le soignant d’un peu de psychologie… La médecine de la personne est une médecine qui s’adresse à la complexité de la personne. Alors que nous vivons dans un monde de normes et de statistiques, d’algorithmes et de règles économiques. Le soignant est devenu le dernier spécialiste de l’anormalité, de ce qui ne rentre pas dans les normes… Or le but d’un soignant n’est pas de réduire cette anormalité pour la faire rentrer dans des normes ; l’objectif du soin ce n’est pas non plus d’étouffer le soigné mais au contraire d’obliger le système à lui faire une place, à retrouver une marge de manœuvre… Sinon nous sommes morts ! »

« La science ne doit pas se départir de l’art et de la poésie » (SD Kipman).

Le thème de la journée étant « Des conflits et de leur résolution », le docteur Kipman rappelle alors que « les conflits sont la mère de la pensée et qu’ils aident à grandir dès la naissance » mais que dans le soin il faut par contre sortir rapidement de la notion de conflit binaire, de bataille, de pouvoir, pour passer à une triangulation salutaire, pour « passer du conflit au complexe ». Et c’est précisément dans cette triangulation que se place la médecine de la personne, car il rappelle que le soignant n’est pas là pour prendre parti dans le conflit que le patient mène avec la maladie mais pour l’aider à trouver un nouvel équilibre qui le satisfasse, « l’accompagner vers une meilleure vie et pas lutter uniquement contre la mort ».

Pascale Henry Keller psychologue et psychanalyste, auteur d’une « lettre au déprimé », qui intervient juste après rappelle, lui, que « nous voulons passionnément ignorer les conflits » mais que cette attitude aveugle et dirige vers des consensus qui ne satisfont personne plutôt que vers des compromis qui seraient une sorte de nouvel équilibre après que chacun se soit exprimé. Il s’élève à son tour contre une médecine chimique toute puissante, en particulier pour traiter les dépressions et il rappelle que les recherches fondamentales en chimie se font sur des souris alors qu’il est tout de même bien mal aisé de rendre dépressives ; que l‘hypothèse d’une prédisposition génétique à la dépression a été balayée il y a quelques années dans un silence assourdissant ; que la faculté de médecine depuis les années 2000 ne reconnaîtrait plus ni les facteurs ni les molécules qui sont censées soigner la dépression ; que c’est une question philosophique et éthique aussi puisque le médecin qui prescrit des antidépresseurs « ment » le plus souvent sur la confiance qu’il a dans le médicament alors qu’en étant honnête il devrait dire qu’il pense que ça va « probablement » aider le patient mais qu’il n’en est absolument pas certain et ne peut pas l’être. Pour enfoncer le clou Pascal Henry Keller dit enfin qu’une étude transversale compilant les études menées ces dernières 50 années aurait montré que les sujets sains qui ont absorbé ces traitements « pour des tests » auraient montré au final un taux plus grand de suicides et de violence envers autrui que la population normale. Il note cependant qu’un de ses patients, en arrêt maladie pour dépression a vu son arrêt retoqué par la caisse de Sécurité sociale et être obligé de retourner travailler parce que son médecin ne lui avait pas prescrit d’antidépresseur ! Comme si au final, pour la dépression, ce n’est plus le symptôme ou la souffrance qui fait la maladie… Mais le traitement lui-même.

À contre-courant de la pensée dominante en médecine, de toute tentative de réduire le vivant et le patient à une somme d’examens, de normes et de clichés ; la médecine de la personne tient donc un discours qui devient, au fond, de plus en plus minoritaire. Problème : ce qu’elle prône est d’aborder simplement la maladie et le symptôme dans l’histoire propre du patient ; d’écouter aussi ce qu’il a en dire… Le fait qu’elle soit aussi marginale nous laisse alors, tout de même, vaguement perplexe.

Plus de renseignements sur le site de l'ofmp

À la semaine prochaine !