
Depuis quelques jours est apparu sur Internet ce fait étrange : des infirmiers libéraux ont été reçus le 6 juin au ministère de la santé pour leur parler des problèmes qu’ils rencontrent. Il y a même un compte rendu officiel qui circule… À la rédaction on a été étonnés de la démarche de ce collectif, qui ne relève d’aucun syndicat et donc n’a pas vraiment de mandat national pour parler au ministère. Donc on a décidé de rencontrer celui qui est à la manœuvre : Florent Régal, l’infirmier du collectif « Cotentin en colère » déjà apparu sur le site pour sa vidéo sur « l’enfer du tiers payant ».
Bonjour Florent peux-tu d’abord nous expliquer rapidement ton parcours ?
J’ai 48 ans, je suis infirmier libéral depuis 6 ans et à mon compte depuis 4 ans … Avant cela, je suis un pur produit de l’hôpital où je suis entré en 1988 en tant que brancardier pour un remplacement parce que ma mère y était aide soignante… Après j’ai monté tous les échelons : la lingerie, brancardier, aide soignant de nuit au service des urgences pendant 13 ans et puis enfin j’ai passé le concours d’infirmier et je suis diplômé depuis 2004. Avant de partir en libéral j’ai exercé à l’hôpital dans un centre de référence Alzheimer. Mais j’ai quitté l’hôpital, même s’il m’a formé, parce que travailler là-bas ne correspond plus à mes valeurs : je suis ulcéré qu’on n’y parle plus que de chiffre, d’argent…
Comment s’est monté le collectif « Cotentin en colère » ?
J’exerce sur Cherbourg et plusieurs de mes collègues libéraux sont de la même promotion que moi, du coup on a le contact facile et on se connaît tous. Peu à peu j’ai commencé à entendre parler de rejets, d’indus et les délégués de l’Assurance Maladie que l’on rencontrait et ne nous répondaient jamais, ce qui fait que nous n’avions aucune communication avec les caisses de CPAM… Là-dessus se sont rajoutés les HAD qui ont commencé à prendre nos patients en sortie d’hôpital, bref on se sent entre le marteau et l’enclume parce qu’on doit multiplier les heures pour se faire un salaire correct, mais plus on augmente les heures, à cause de cette nomenclature improbable, plus le risque d’indus augmente… Alors on s’est dit qu’il fallait qu’on se bouge. Dans un premier temps on s’est rapprochés des syndicats mais ça n’a rien donné, alors on a décidé de monter un collectif, apolitique et asyndical, pour regrouper toutes les bonnes volontés dans le but assez simple de parler des problèmes du terrain. Ça a bien pris et ce collectif regroupe aujourd’hui plus de 160 personnes. Et d’ailleurs on a fait des émules puisque j’ai été contacté au bout de quelque temps par Simon Gomes Leal pour monter son collectif « Savoie en colère ».
Et avec ce collectif comment vous êtes-vous retrouvés au Ministère ?
Dès le début du collectif on a envoyé plusieurs courriers aux caisses et aux décideurs pour leur parler de nos problèmes et notamment du rapport de la Cour des comptes, de la loi santé etc. Et puis un soir, aux alentours des attentats, j’ai vu notre ministre tresser des lauriers aux médecins et aux urgentistes et ne pas avoir un mot pour nous, alors j’ai pris à nouveau la plume et j’ai envoyé une lettre ouverte à Marisol Tourraine et à une cinquantaine de médias… Qui n’a obtenu aucune réponse. Quelques jours plus tard je me suis présenté physiquement à la caisse de la CPAM de Saint-Lô pour leur demander à voir quelqu’un puisqu’ils ne me répondaient pas. Au début ils ont refusé à nouveau de nous recevoir mais comme j’ai menacé de revenir le lendemain avec tout le collectif, ils nous ont finalement fixé un rendez-vous… J’y suis allé et je ne cache pas que la relation au début a été tendue, inconfortable, parce qu’ils ne comprenaient pas ce qu’on voulait… Mais quand on leur a expliqué que nous n’étions pas là pour "tout casser" ou "tout foutre par terre" mais au contraire pour collaborer avec eux et trouver des solutions, tout s’est détendu… Depuis nous faisons des groupes de travail réguliers avec eux et par exemple nous avons édité une plaquette pour expliquer aux médecins les formulations des prescriptions infirmières; nous avons aussi mis en place des formations de deux jours pour que tous les infirmiers qui veulent s’installer en libéral ne soient plus seuls avec les cotations etc. C’est très constructif et aujourd’hui nous avons tout à fait la porte ouverte à la CPAM…
Et le ministère donc ?
J’ai envoyé un deuxième courrier en mai qui est resté toujours sans réponse et puis j’ai mis ma fameuse vidéo en ligne et ça a commencé un peu à bouger car elle a fait un peu de buzz et qu’on en a parlé. Du coup on a fait un troisième courrier commun avec les IDEL de Savoie et tout de suite après j’ai appelé le ministère tous les jours pendant une semaine en leur demandant de me répondre. Entre-temps on a saisi aussi les maires autour de nous, les députés et même Monsieur Bernard Cazeneuve puisque après tout c’est l’ancien député-maire de la ville… Tous ont dit et ont fait savoir que c’était inacceptable qu’on n’ait pas de réponse. On n’attendait pas de révolution mais au moins une réponse ! Finalement le ministère a fini par me mettre en contact avec Monsieur Masi ( le « Conseiller en charge des professionnels libéraux de santé et des soins de premiers recours au Ministère des Affaires Sociales et de la Santé ») qui nous a fixé un rendez-vous, le fameux rendez-vous du 6 juin dont le compte rendu est en ligne. On a été trois collectifs à s’y rendre : le Cotentin, la Savoie et Unidel.
Mais quel est le but exact de la démarche ?
Nous, on voudrait casser les codes du syndicalisme vertical qui nous apparaît totalement déconnecté de la réalité du terrain, c’est triste à dire mais c’est comme les politiques: ils ont l’air tellement loin des réalités qu’on ne les entend plus. Nous, on voudrait juste rasseoir tout le monde sur sa chaise et résoudre les problèmes concrets. Cela fait 15 ans que la profession crève et rien ne bouge, c’est bien qu’il y a un problème non ? Pourquoi les syndicats ne pèsent-ils pas plus dans les négociations ? De temps en temps on croise des syndicalistes et individuellement leur discours est plutôt bon mais à l’échelon national c’est comme si leur discours devenait totalement inaudible… Je pense que les syndicats ont vraiment un problème de communication avec leur base parce que passées les élections on ne les entend plus ! Alors tant pis, avec le collectif je prends la parole et ça bouscule tout le monde car ils ne sont pas habitués à ce genre de discours… Mais au moins on secoue le cocotier !
Quelles seront les suites de votre entretien au ministère alors ?
Le ministère nous a dit qu’ils vont nous recontacter pour que l’on fasse des groupes de travail peut être en lien avec les futures négociations conventionnelles qui auront lieu en janvier 2017… On va aussi se monter en association pour des questions pratiques de trésorerie car tout ça a un coût tout de même… Mais moi dans l’absolu je voudrais arrêter le collectif dès que possible parce que je me fiche personnellement d'aller au minsitère… Donc si un syndicat veut venir vers nous et discuter vraiment de nos problèmes concrets ce sera parfait ! D’autant plus qu’entre collectifs il faut dire aussi qu’il y a parfois un peu de mauvais esprit et tout ça ne m’intéresse pas beaucoup… Sur cette action ma devise est donc claire, j’estime avoir une « obligation de moyen et pas de résultats »; quand je vois les problèmes du nouveau diplôme des aides soignants, des indus, de l'HAD, du tiers payant, de nomenclature je m’en voudrais vraiment de ne rien essayer pour sauver ma profession ! Alors je ne sais pas ce que tout ça va donner mais au moins j’essaye…
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