La nouvelle a fait le tour des réseaux sociaux en quelques jours : un infirmier aurait gagné au TASS contre une caisse de sécurité sociale pour un montant dépassant les 150 000 euros. Nous nous sommes procuré le jugement en question et nous avons interrogé l’infirmier, retour sur une victoire… Encore incertaine.
Bloqué entre les contraintes de zonage et celles de la continuité des soins.
David* s’est installé en 2010 dans une ville surdotée. Malgré la sur dotation, la demande en soin est loin d’être pourvue – notamment pour les patients lourds — alors dès son installation la patientèle afflue et David se retrouve très vite à remplir trois tournées. Pour se faire aider, il travaille avec des collègues des alentours mais au bout de quelques mois à peine, subitement, ceux-ci décident presque en même temps de ne plus travailler avec lui. David se retrouve donc bloqué entre une demande de patients importante et l’impossibilité pour lui de recruter sur son secteur puisqu’il est en zone surdotée. Il décide d’abord de donner une de ses tournées à un des collègues déjà installé sur le secteur, puis il travaille avec quatre nouveaux collègues qui viennent s’installer avec lui. Le temps que ces nouveaux collègues officialisent administrativement leur installation, il facture les soins pour eux puis leur reverse 95 % des honoraires perçus (il garde une participation de 5 % sur les honoraires).
Comme il se retrouve à facturer deux tournées en même temps, la caisse de Sécurité sociale trouve son comportement « atypique » et en 2014 une enquête est ouverte sur son activité. En commission de conciliation, David explique sa situation, montre qu’elle n’était que temporaire mais la caisse refuse la conciliation et lui demande de rembourser plus de 150 000 euros, car pour la caisse il n’a pas le droit de facturer des soins qu’il n’effectue pas lui-même donc elle lui réclame, à titre d’indu, la totalité des sommes versées pour les soins faits par ses collègues (ce reproche est déjà présent dans le cas que nous vous avons présenté il y a quelques semaines). David saisi alors le TASS contre cette décision.
Il a gagné contre la caisse ?
Le jugement au TASS a eu lieu en juin 2017 puis en septembre 2017 il est finalement publié : la cour annule la notification d’indu de la caisse, c’est ce résultat qui a fait grand bruit.
Cependant deux points sont à retenir :
Tout d’abord c’est un jugement « de première instance » et un appel de la caisse est plus que probable, l’affaire sera donc rejugée dans quelques mois et donc ce résultat n’est pas encore tout à fait définitif.
Ensuite, la caisse reprochait à David d’avoir travaillé avec des collègues non conventionnés, donc que les remboursements non seulement ne lui étaient pas dus mais qu’en plus ils auraient dû être calculés sur le tarif que l’on verse aux infirmiers non conventionnés (le tarif dit « d’autorité »). Mais dans son jugement la cours a cité la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des infirmiers qui dit sur ce cas que pour « deux de ces remplacements aucun conventionnement n’existait durant la période de contrôle, que pour un troisième le conventionnement est intervenu en cours de contrôle et qu’enfin un quatrième était conventionné au cours de la période contrôlée ». Or, dans ce procès la caisse a fourni un tableau qui reparti les soins effectués par David d’un côté et ceux par ses collègues d’un autre mais sans définir précisément quel collègue (conventionné ou pas) a travaillé ce jour-là. Partant de ce manque de preuve la cours a jugé alors « que l’inobservation des règles de facturation ne peut donner lieu à restitution des sommes versées que dans le cas où l’organisme établit qu’il a effectivement réalisé des payements qu’il n’aurait pas du faire. En conséquence, la caisse ne démontrant pas le bien-fondé de sa réclamation, l’indu sera annulé. ». Donc c’est bien l’imprécision de la preuve apportée par la caisse qui a entraîné l’annulation de l’indu et non un jugement sur le fond de la question des indus pour facturation à la place de son collègue.
Qu’en conclure ?
Ce jugement est assez typique de ce qui se passe de plus en plus dans les conflits entre caisses et infirmiers. Après des années où les avocats ont plaidé (souvent pour rien…) sur le fond des dossiers (par exemple la durée des ais 3 qui a fait couler beaucoup d’encre, et de sueur et de salive…), on se dirige de plus en plus vers des procès techniques sur la forme et sur la validité des pièces fournies par les caisses. Ainsi c’est la signature de la mauvaise personne qui a déjà fait basculer un procès dans le sud ouest et dans le sud est c’est la validité d’une carte fournie par la caisse (ou sa falsification comme le décidera le juge…) qui risque de faire basculer un autre procès…
Pour mémoire :
- C’est toujours à l’infirmier qui fait les actes de facturer ses soins en son nom avec sa carte CPS.
- En cas de remplacement : soit l’infirmier remplaçant utilise sa carte CPS remplaçant pour facturer ses soins avec le matériel du titulaire soit il remplit les feuilles de soins papier du titulaire en barrant son nom et en mettant le sien à la place.
- D’autre part, un remplaçant « remplace » le titulaire, donc sa présence dans un cabinet ne peut être que pour une courte durée et pour un motif précis. Si sa présence devient régulière c’est alors de la collaboration.
À la semaine prochaine !
* Le prénom a été changé