Conflit avec les caisses sur un « cabinet fictif »

 

À la rédaction nous recevons régulièrement des demandes pour parler de conflits avec les caisses de Sécurité sociale. Un en particulier a retenu notre attention cette semaine car il résume à peu près tous les autres…

 

 

 

Accusée d'exercer dans un cabinet fictif

Les faits

(NDLR : L’instruction de ce cas étant en cours nous avons changé tous les lieux et tous les noms)

Patricia est infirmière libérale, elle a exercé dans le nord à partir de 2006 puis elle est venue s’installer dans le sud de la France, où vivent ses parents, en 2009. De 2009 à 2012 elle va donc exercer comme infirmière remplaçante dans la ville de A et, habitant chez ses parents à cette époque, elle y domicilie son activité (les remplaçants donnent aux caisses leur adresse personnelle pour exercer puisque par définition ils n’ont pas d’adresse professionnelle fixe). En 2012 elle souhaite tout de même s’installer à son compte mais comme la ville de A est en zone sur dotée, elle installe son cabinet dans le village de B distant de 20 kilomètres de A. Seulement, ayant des attaches familiales et relationnelles dans la ville de A, la majorité de sa clientèle se développe et reste dans cette ville. Patricia appelle alors la CPAM de la ville de A pour leur demander si elle peut prendre en charge ces patients et on lui dit au téléphone que c’est possible, tant qu’elle cote bien ses indemnités kilométriques à partir du cabinet infirmier le plus proche et pas de l’adresse réelle de son cabinet. Pour essayer de clarifier la situation Patricia fait tout de même, en 2013 et 2014, deux demandes en commission paritaire pour s’installer dans la ville de A mais ces demandes sont refusées.

En août 2 014 les parents de Patricia ont tout à coup la surprise de voir un inspecteur de la CPAM venir à leur domicile vérifier l’existence du cabinet de leur fille. Les parents de Patricia expliquent alors que son cabinet n’est pas ici mais dans le village de B.

Le conflit

En avril 2015 Patricia reçoit une « notification de préjudice » de la part de la CPAM qui soutient qu’elle a monté sans autorisation un cabinet infirmier dans la ville de A depuis 2012. La caisse appuie son argumentation sur le fait que le relevé SIREN de Patricia (qui est la « fiche d’identité » de toute entreprise) est resté à l’adresse de ses parents (donc dans la ville de A). De plus, les contrats de remplacements qu’elle a produits stipulent « qu’elle exerce son activité dans la ville de A » et ils sont tellement mal rédigés qu’ils reviennent non pas à un remplacement mais à une association de fait. Pour la caisse Patricia a donc domicilié son activité dans la ville de A, elle a pris une associée et a monté un cabinet sans autorisation, donc elle exerce sans autorisation conventionnelle puisque la ville de A étant sur doté elle ne peut pas s’y installer librement. La caisse lui demande donc de lui rendre l’intégralité des sommes perçues en remboursement conventionnel des soins pendant deux ans, soit une somme supérieure à 110 000 euros.

Les contre arguments

Patricia a saisi la commission amiable pour contester cette décision. Elle reconnaît tout d’abord que le relevé SIREN n’était pas à jour mais qu’elle vient de le corriger ; d’autre part elle montre un contrat de location de son cabinet dans le village de B qui date du premier décembre 2011 et elle dit enfin que le contrat avec sa collègue reprend son adresse personnelle (Patricia habite personnellement la ville de A) et pas professionnelle mais que ça ne suffit pas pour requalifier un contrat de remplacement en association de fait. D’autre part elle argumente qu’elle a parfaitement le droit d’être domiciliée dans le village de B et de voir ses patients dans la ville de A, puisqu’elle respecte la cotation des indemnités kilométriques et surtout le libre choix du patient de choisir leur professionnel de santé.

Les suites

Suite à ce recours amiable, la caisse reconnaît d’elle-même qu’elle n’a pas le droit de récupérer l’intégralité des sommes remboursées au titre conventionnel mais qu’elle doit appliquer aux actes faits par Patricia le « forfait d’autorité » de remboursement qui s’applique à tous les professionnels hors convention, soit 16 %. La somme réclamée passe donc « seulement » à 95 000 euros mais la caisse maintient ses demandes sur tous les points. Brisée par cette décision Patricia est alors entrée dans une profonde dépression. À ce jour (à notre connaissance) un jugement définitif est encore en instruction.

Que faut-il retenir de ce cas ?

Ce cas est malheureusement représentatif de beaucoup d’autres. Nous avons d’un côté une infirmière qui semble avoir accumulé les « légèretés » par exemple en ne mettant pas précisément à jour tous ses documents administratifs et en utilisant des contrats de remplacement extrêmement mal rédigés et donc très ambigus. Bien sûr, à la rédaction, nous connaissons suffisamment les infirmiers libéraux pour savoir que ce n’est pas de la mauvaise volonté mais simplement un manque d’attention à tous ces « détails » car les infirmières se concentrent d’abord sur les soins aux patients. Sauf que de l’autre côté nous avons une caisse qui connaît extrêmement bien les textes et n’hésite pas à « tirer dans les coins » pour faire valoir ses droits et c’est donc typiquement le combat du pot de terre contre le pot de fer. Nous noterons aussi que la caisse n’hésite pas à avoir, en plus, la main bien lourde puisque comme nous l’avons vu, elle a reconnu avoir fait une « erreur » dans l’évaluation montant de la somme demandée, une erreur « d’à peine » 30 000 euros tout de même…

Que font les syndicats ?

Patricia nous a dit avoir contacté plusieurs syndicats sans suite. Lorsque nous les contactons ils reconnaissent que ces cas-là sont souvent très compliqués à défendre, d’abord parce que légalement la caisse a des arguments apparemment valables et ensuite parce que la situation de Patricia (qui exerce dans la ville de A alors qu’elle a sa plaque dans le village de B), même si elle est légale, contrevient à l’esprit du texte sur le zonage, bref difficile de négocier un texte qui est censé protéger les infirmières d’une zone puis de défendre celles qui contournent ce texte…

Quelles conséquences ?

L’instruction de ce cas est en cours, difficile donc d’en tirer la moindre conclusion à part le fait qu’il a brisé la vie d’une professionnelle qui n’a probablement pour seul tord que de n’avoir été qu’inattentive. D’autre part, à la rédaction, une autre zone de flou nous étonne puisque la famille de Patricia nous soutient que ses feuilles de soins, quel que soit l’Insee, étaient bien domiciliées à l’adresse du cabinet de Patricia dans le village de B. Alors, si ce fait est vrai, qu’est ce qui fait preuve de la localisation réelle d’un cabinet : L’adresse sur la feuille de soins ou le relevé Insee ? Ainsi, la seule conclusion que l’on peut vraiment tirer est de rappeler encore une fois à tous les infirmiers libéraux qu’il n’y a pas de « détails » dans leur activité et que chaque aspect administratif doit être absolument validé par un expert que ce soit un avocat pour les contrats, ou un comptable pour toutes les déclarations ou un assureur pour la couverture sociale etc. En libéral, définitivement, le temps de « l’innocence » n’est plus permis.

Et sinon ?

Et sinon le feuilleton sur les négociations conventionnelles continue. Après avoir été reportées au 12 juillet (pour courir jusqu’à fin novembre tout de même…) nous avons appris dans la semaine que ces négociations seraient probablement annulées ou plus précisément transformées de négociations conventionnelles en négociation d’un seul avenant. Cette situation n’est pas nouvelle puisqu’en 2012 c’est déjà ce qui s’était passé et de fait c’est la convention de 2007 qui courre toujours, déjà corrigée par 4 avenants (entrecoupés de quelques modifications de la NGAP comme la nouvelle tarification des perfusions en 2014). Cette annonce n’a pas été sans provoquer des réactions chez les infirmiers mais les responsables syndicaux soutiennent que ce ne sera pas nécessairement une mauvaise chose…

 

À la semaine prochaine !